Le succès commence à se manifester au début des années 1950. Un comité local est mis en place pour faciliter l’accueil et la logistique du travail des équipes du Festival. On prétend souvent qu’il est venu avec l’entrée de Gérard Philipe dans la troupe de Vilar. Dès lors, certaines relations deviennent parfois houleuses. Le comité local va s’opposer parfois à la programmation très audacieuse et engagée de Jean Vilar. Par exemple, dès 1948, programmer dans la Cour d’honneur La mort de Danton d’un auteur allemand Georg Buchner, seulement quelques années après l’occupation allemande, est assez osé de la part de Vilar. Il faut imaginer ce mur de la Cour d’honneur avec une immense guillotine projetée en jeu d’ombre. Toute cette audace fait polémique. En 1954, il a fallu une crise pour dénouer cette situation. Vilar alla jusqu’à donner sa démission et c’est grâce à une pétition de soutien signée par vingt-cinq mille Avignonnais qu’il parvint à obtenir l’appui direct du maire et que le comité local fut mis en sommeil.

Gérard Philipe, Jean Vilar, Léon Gischia dans la Cour d’honneur du Palais des papes ©Agnès Varda – Ciné-Tamaris
L’entrée de Gérard Philipe dans la troupe du Festival
L’année 1951 marque le début de la collaboration entre Jean Vilar et Gérard Philipe. Déjà en 1949, Vilar approchait la star du cinéma français et lui proposait le rôle de Rodrigue dans Le Cid de Pierre Corneille. Philipe déclina la proposition, car il craignait de ne pas avoir la carrure et la voix d’un tragédien. Le rôle fut alors interprété par Jean-Pierre Jorris. Alors qu’il prépare la 5ème édition du Festival, Vilar vint trouver Philipe qui joue au Théâtre de l’Atelier à Paris et lui propose le rôle-titre du Prince de Hombourg. Il accepte aussitôt. Jean Vilar ajouta « Et Le Cid ? ». Gérard Philipe sourit, il jouera dans deux pièces dans la Cour d’honneur pour son arrivée en 1951 à Avignon.

Gérard Philippe et Jeanne Moreau dans le Prince de Hombourg
Des relations très fortes de travail et d’amitié se lient entre Jean Vilar et Gérard Philipe qui supplée parfois Vilar à la mise en scène. En rejoignant la troupe, il participe pleinement à la vie de la compagnie. Il se plie volontiers aux règles de groupe et d’uniformisation des statuts et des salaires. Pas de « star system » ! Même salaire pour l’acteur anonyme et Gérard Philipe, son nom apparaît sur l’affiche dans l’ordre alphabétique.
Jean Vilar dirige le TNP à Chaillot
Jeanne Laurent comme sous-directrice des spectacles et de la musique au ministère de l’Éducation nationale, est à l’origine de la politique de décentralisation théâtrale à la Libération. C’est en 1951, qu’elle propose à Vilar la direction du Théâtre de Chaillot à Paris. Sa confiance donne l’occasion à Vilar de disposer d’un grand lieu de production : Chaillot qu’il rebaptise Théâtre National Populaire (TNP). Cette immense salle reconstruite au sein du palais de Chaillot à Paris, à l’occasion de l’exposition universelle de 1937, dispose de près de 3.000 places et d’un vaste plateau. Elle lui permet de poursuivre en salle fermée, sa recherche théâtrale commencée dans la Cour d’honneur à Avignon. Les deux scènes aux dimensions comparables présentent également les mêmes difficultés de mis en scène mais aussi les mêmes vertus dramatiques pour mettre en valeur les grandes œuvres classiques de Corneille ou Shakespeare.

Jean Vilar au TNP Chaillot en 1952 ©Jean Rabaté

Jean Vilar et ses comédiens du TNP à Avignon en 1958
© Agnes VARDA Agence Enguerand
Le Festival d’Avignon et le TNP
Dès lors, ce fut dans le cadre du TNP que Jean Vilar organisa le Festival d’Avignon. Ces années 1950 furent celles de l’âge d’or du Festival. Des années glorieuses, même si elles n’étaient pas toujours couronnées de succès. Vilar acquit son indépendance artistique et disposait d’une équipe professionnelle digne de ce nom tant pour l’administration et la gestion du TNP que pour celles du Festival. Il commence à stabiliser une troupe permanente constituée d’acteurs grande qualité, comme Philippe Avron, Maria Casarès, Jean-Pierre Jorris, Michel Galabru, Georges Wilson, Germaine Montero, Michel Bouquet, Silvia Montfort, Geneviève Page, Jeanne Moreau, Serge Reggiani, Jacques Dufilho, Charles Denner, Daniel Sorano… sans oublier Gérard Philipe. Retrouver chaque année les mêmes acteurs, les mêmes équipes à Avignon faisait l’effet d’un véritable rendez-vous. Les habitudes s’installent. Des rituels comme les conférences et débats dans le Verger Urbain V, tout cela établit une proximité entre les gens de théâtre, le public et les habitants. C’est en 1958 que les fameuses trompettes, inspirées par les fanfares de Lorenzaccio donné en 1952 et composées par Maurice Jarre, commencent à résonner avant chaque représentation dans la Cour d’honneur.
La suite dans notre article :
Après l’enthousiasme des débuts, les difficultés à surmonter